L’homme est au tout début de sa reconquête spatiale, mais il voit déjà plus loin. Toujours accroché à l’orbite gravitationnelle de sa planète dont il éprouve toutes les peines à s’arracher, c’est vers une autre planète que se porte son regard. Et plus particulièrement vers Mars, qui suscite tous les fantasmes depuis la découverte de son réseau de «canaux» en 1858 par l’astronome et prêtre jésuite italien Angelo Secchi.
Mars donc, nouvelle Terra incognita que le Terrien chercherait à fouler à 55 millions de kilomètres de chez lui. Et pour quoi faire? Bonne question. Pour repousser les limites de l’aventure humaine? Par enjeux politiques, pour être le premier pays à envoyer un homme sur le plus légendaire des astres du système solaire? Pour coloniser une planète qui ressemble à la Terre, le jour où l'humanité aura épuisé toutes les ressources de cette dernière? Sans doute un peu de tout cela à la fois.
Mars est depuis longtemps une grande source d’inspiration pour les cinéastes
Sauf que le départ pour Mars n’est pas pour demain. Il était pourtant bien parti. Neil Armstrong à peine revenu de son exploit lunaire, le président Richard Nixon, emporté par son élan, annonçait la prochaine étape de l’OPA américaine sur l’espace profond. Promis, juré, après la Lune l’homme planterait une bannière étoilée sur la planète rouge.
Et puis le temps a passé. Surtout, la conquête s’est révélée plus chère et compliquée que prévue. Techniquement déjà, envoyer une équipe d’astronautes révèle d’une vraie difficulté: il faut atterrir sans pouvoir compter sur l’atmosphère martienne pour contribuer au freinage de la capsule et prévoir bien sûr d’en repartir en tenant compte que la force de gravitation martienne est deux fois supérieure à celle de la Lune.
Il faut ensuite vivre dans un environnement totalement inadapté à l’homme. On a longtemps cru que notre planète sœur abritait des intelligences supérieures vivant dans un Eden magique. Et puis les premières sondes nous ont renvoyé les images d’un paysage aride et accidenté, battu par une température glaciale qui oscille entre -11 et -71 degrés où l’eau jadis avait peut-être bien coulé, mais sans forcément abriter la vie.
L’équipement, les vivres, les astronautes, le module: en tout, cela représente une bonne centaine de tonnes de matériel à poser là-haut alors que l’état des technologies actuelles voit comme une prouesse de faire arriver sans encombre un robot de 900 kilos. Sans parler de la sécurité. Impossible d’envoyer de toute urgence une équipe de réparation pour remplacer une pièce défectueuse. Sur Mars, il faut oublier la Terre.
«Même les hommes verts au long nez et aux grandes oreilles, les Martiens, ont droits au baptême»
Le pape François,
12 mai 2014
Il y a le trajet ensuite. Six mois pour l’aller, six mois pour le retour. Un confinement obligé pour les astronautes qui doivent absolument éviter de flancher pour éviter que la cohabitation ne tourne au drame. Au défi psychologique s’ajoute celui de la subsistance à bord du vaisseau. Pour éviter d’embarquer un fret lourd et encombrant, l’idée a toujours été de trouver des moyens d’autoalimenter le personnel à bord, les plantes servant à la fois de nourriture et de système naturel d’épuration de l’air. Sauf que les expériences d’enfermement volontaire, comme «Biosphère 2», ont surtout démontré l’inefficacité des végétaux et révélé le problème de micro-organismes produisant du dioxyde de carbone dans de dangereuses proportions.
Les experts pourtant l’assurent: techniquement, envoyer un équipage sur Mars pourrait être à notre portée… dans plusieurs années. Il manque juste les moyens de financer cet objectif et l’envie politique de le réaliser. Car un périple aussi ambitieux ne saurait être supporté, économiquement parlant, par une seule nation. Le voyage sur Mars doit forcément fédérer les bonnes volontés internationales. Ce qui, à l’heure actuelle, est loin de figurer dans les priorités mondiales. D’autant que les Etats-Unis, locomotive désignée de ce genre de projet, en annulant le programme «Constellation de conquête spatiale» lancé par George W. Bush, ont clairement rangé Mars dans un tiroir du Congrès.
Reste les initiatives privées. Celle de Richard Garriott et de Dennis Tito – tous les deux figurants parmi les premiers touristes de l’espace – qui s’imaginent déjà faire voler un couple autour de Mars, mais sans s’y poser. Leur colossale fortune réunie pourrait financer cette aventure baptisée «Inspiration Mars».
Quoique. Space Adventures tente de boucler le budget de son tour de Lune depuis quelques années. Il faudrait deux passagers pour conclure l’affaire. Aux dernières nouvelles, il y en aurait un. Reste à trouver le deuxième capable de payer 150 millions de dollars le trip en orbite. Alors Mars, on n’ose à peine imaginer le montant de la facture.
En 2012 pourtant, Elon Musk, le nabab des technologies du futur, évoquait l’ambition de sa société SpaceX de propulser d’ici à dix ans une colonie martienne à partir d’une fusée géante remplie d’un mélange d’oxygène liquide et de méthane. Prix de la place? 500 000 dollars. La clé de cette radicale ristourne? Réduire de moitié le voyage aller-retour, qui prend actuellement au moins un an. Ce qui serait possible si le lancement avait lieu au moment où les deux planètes se retrouvent en conjonction parfaite, c’est-à-dire tous les deux ans.
Plus abstrait, voire carrément utopique, le projet «Mars One» prévoit d’envoyer dès 2023 des légions de volontaires sur la planète rouge. Bas Lansdorp, l’ingénieur hollandais à l’origine de cette aventure, a déjà reçu 80 000 offres de Terriens prêts à partir sans pouvoir revenir (Mars One n’organise qu’un aller simple), payées entre 5 et 78 dollars la candidature. De quoi imaginer assez vite que la motivation de l'entrepreneur n’est peut-être pas uniquement spatiale.
Dans le désert de l’Utah, un camp de la Mars Society permet d’expérimenter la vie sur Mars
La Mars Society, elle, reste encore les pieds bien ancrés sur Terre. En attendant le grand départ, les membres de l’association s’entraînent. Dans des régions similaires à la surface martienne – l’île de Devon, le désert de l’Utah – de petits habitacles sont implantés où entre 4 et 6 personnes expérimentent pendant quinze jours la vie sur une autre planète. La ruée sur Mars rendrait-elle un peu fou?